Peter Raby nous décrit sa rencontre avec les petits-fils d'Alfred Wallace, Richard et John :
Quand je prépare une biographie, je retire toujours beaucoup d’inspiration des lieux où a vécu et œuvré la personne dont je m’occupe ? une tâche fort difficile dans le cas d’Alfred Russel Wallace, qui a tant voyagé et vécu, même de retour en Angleterre, dans autant de maisons.
Je suivis cependant sa trace jusqu’au Sarawak, résidant dans une maison dayak tout en longueur à l’ombre du mont Santubong, entrapercevant une grenouille volante (Rhacophorus nigropalmatus), un des spécimens qu’il captura lors de son séjour ici, et qu’une aquarelle vue naguère dans les archives familiales me permit de reconnaître. Wallace se maria relativement tard, tout comme son fils William, et c’est une bénédiction pour le biographe que je suis d’avoir pu rencontrer ses deux petits-fils, MM. John et Richard Wallace, qui se sont montrés d’une aide et d’une générosité confondantes en me donnant accès à leur entière collection de lettres, papiers et dessins, ainsi qu’aux papillons et autres insectes, et aux livres personnels de Wallace, tout cela rangé dans un cabinet dont il avait imaginé lui-même les plans. A ma première visite, Richard Wallace me montra ce qui était disponible, et me laissa farfouiller. Trois heures plus tard, j’étais invité à déjeuner. L’heure dévolue au thé d’après-midi arriva, suivie d’une invitation à dîner, puis à passer la nuit. La bonne volonté des parents de Wallace à partager leur héritage, quitte à le disperser, est pour moi une expérience unique, et qui certainement permit de me sentir dans le plus étroit contact avec mon sujet; et surtout, j’aime à le croire, avec son esprit remarquablement confiant et généreux. Tenir entre ses mains les lettres authentiques que Wallace, par exemple, a échangées avec ses amis depuis l’Amazonie, Walter Bates ou Richard Spruce, ou envoyées à sa famille depuis une île lointaine de l’archipel malais, procure une sensation d’immédiateté qu’un fac-similé, lu par exemple sur le web, ne saurait susciter.
Je devais ressentir pareille épiphanie quelques années plus tard. Wallace, qui avait épousé Anne Mitten, de Hurstpierpoint dans le Sussex, vécut un temps dans la maison familiale, alors qu’il travaillait à son grand livre de voyages, L’Archipel malais (The Malay Archipelago). Avec des fonds collectés par le Dr George Beccaloni, du Natural History Museum, une plaque fut apposée pour rappeler ce fait, inaugurée par les petits-fils de Wallace. La cérémonie achevée, ils nous invitèrent, Beccaloni et moi, à examiner une boîte qu’ils avaient emportée dans leur coffre. Récemment découverte dans un grenier, nous y vîmes une stupéfiante collection de scarabées qu’avait réunie Wallace dans l’archipel ? une chatoyante série d’espèces rares, chacune étiquetée de l’écriture ordonnée de Wallace. Mon émotion ne peut sans doute pas se comparer avec celle de Wallace capturant ce qu’il décrirait comme « le plus beau papillon du monde ? », l’Ornithoptera Croesus aux ailes d’oiseau qu’il découvrit à Batchian, mais la collection ? avec quelques spécimens immaculés, d’autres un peu altérés, semblait sortir tout droit des mains mêmes du grand naturaliste. Il y avait là, parmi les scarabées, le scarabée à longs bras illustré dans L’Archipel malais (Euchirus longimanus), ainsi qu’un lucane baptisé par Wallace du nom d’un de ses amis du Sarawak, Rajah Brooke. Wallace nous dit à propos du scarabée à longs bras : « Cet extraordinaire insecte est presque impossible à capturer, sauf quand il vient boire au petit matin la sève du palmier à sucre, qui s’en est empli pendant la nuit. Ce sont des insectes apathiques, qui se traînent nonchalamment au moyen de leurs longs membres antérieurs. »
De la nonchalance, il n’y en avait en revanche pas trace dans la vie de Wallace. A voir cette boîte de scarabées, j’étais plus que jamais conscient de l’extrême énergie et opiniâtreté qu’il lui avait fallu pour découvrir et accumuler les preuves physiques nécessaires pour étayer ses théories, et conscient de l’infatigable curiosité et de la jouissance qu’il devait éprouver devant la diversité des créatures vivantes.