L’astronomie n’a pas échappé aux passions d’Alfred Wallace. Ses textes exceptionnellement clairs, concis, logiques, feront l’étonnement des astronomes de l’époque. Ainsi un de ses sujets de prédilection, la pluralité ou plutôt la non-pluralité des mondes, le conduira à publier en 1903 (il a 80 ans) Man’s Place in Universe, simultanément dans The Independent à New York et Fortnightly Review à Londres. En anthropocentriste impénitent, il démontre, dans l’extrait que voici, pourquoi notre planète est la seule de l’univers où la vie peut se développer.
« La Terre, planète adaptée au développement de la vie »
traduction d’Alexandra Philibert © Éditions de l’évolution
Parmi tous les scientifiques qui ont, plus ou moins sérieusement, creusé la question de la convenance des autres planètes au développement de la vie organique et d’êtres intelligents, je n’ai rencontré personne qui ait envisagé le problème dans toute sa complexité. On s’est contenté, en général, de démontrer que certaines planètes auraient peut-être, aujourd’hui, la possibilité d’accueillir la vie dans des formes pas très différentes de celles de notre Terre ; mais il ne se sont jamais penchés de façon adéquate sur la question suivante : Cette vie aurait-elle pu voir le jour et se développer sur ces planètes ? Ici se trouve le vrai point crucial, et je crois qu’un examen complet des conditions nécessaires nous convaincra qu’aucune autre planète ne peut les remplir. Pour cela, examinons ces conditions.
Les premiers à écrire sur le sujet ont pu donner libre cours à leur imagination et s’arranger ainsi des difficultés concernant les températures, l’humidité, etc., en supposant que dans d’autres mondes, il pourrait y avoir d’autres éléments possédant des propriétés autres que les nôtres, et que ceux-ci rendraient la vie possible sous des conditions très différentes de celles qui sont essentielles chez nous. Mais les révélations de l’analyse spectrale nous ont montré l’unité de la constitution de la matière dans tout l’univers matériel, et non seulement les planètes du système solaire sont toutes composées des mêmes éléments, mais les étoiles les plus lointaines et les nébuleuses les plus éloignées se composent exactement des mêmes éléments que ceux qui nous sont si familiers, et les mêmes lois physiques et chimiques prévalent sans aucun doute. Nous pouvons par conséquent tabler sur le fait que, en quelque endroit où la vie organisée a pu se développer, elle est formée des mêmes éléments fondamentaux que sur Terre.
Les caractéristiques essentielles des êtres organisés sont la croissance en continu et la réparation des tissus, l’absorption de matières vivantes ou mortes et leur transformation en composantes variables et instables à partir desquelles leurs corps se construisent. Pour ces fins, un double système de circulation, gazeux et liquide, doit être constamment en fonctionnement, ce qui est fait par le moyen de minuscules vaisseaux tubulaires ou cellulaires qui irriguent toutes les parties du corps. Ces systèmes de circulation merveilleusement complexes et exquisément ajustés sont entièrement dépendants du maintien continu d’une amplitude de températures très restreinte qui se situe quelque part entre les extrêmes des points d’ébullition et de congélation de l’eau. Mais en réalité cette amplitude est encore bien plus délimitée, car si toute l’eau venait à se solidifier, toute forme supérieure de vie serait détruite, tandis qu'une température très inférieure à la température d'ébullition maintenue en permanence serait presque tout aussi préjudiciable.
Si nous considérons que la température de l’espace est d’environ -273°C alors que celle de la surface extérieure du Soleil atteint environ les 9000°C, nous réalisons quelle combinaison de conditions favorables doit être en place pour préserver sur la surface de la planète une température qui ne descend jamais en dessous de 0°C ni ne monte au-dessus de, disons, 75°C plus d’un certain laps de temps; et que ces conditions doivent être maintenues pendant non pas des centaines ou des milliers, mais des millions ou peut-être même des centaines de millions d’années pour que la vie se développe. C’est le maintien de cette température de surface relativement uniforme sur des périodes si longues -- en fait pendant la période géologique tout entière – que la plupart des chercheurs ont négligé en tant que condition nécessaire à la formation de vie supérieure sur une planète, et cette négligence infirme la totalité de leur raisonnement car ils ont à montrer non seulement que les conditions de température requises sont bien remplies maintenant, mais aussi qu’il y a au moins une petite probabilité qu’elles l’étaient déjà ou le seront sur une période assez longue pour permettre le développement d’un système de vie organique comparable au nôtre.
Énumérons donc les conditions principales qui semblent, associées ainsi, avoir rendu possible la vie sur notre Terre. Elles sont :
1°) Un soleil assez proche pour maintenir une bonne température du sol et évaporer assez d’eau pour produire des nuages, de la pluie et un système de circulation de rivières.
2°) Une atmosphère suffisamment étendue et dense, afin de permettre la production et la circulation de vapeur aqueuse sous forme de nuages, de brume et de rosée, mais aussi pour réguler la chaleur solaire entre les jours et les nuits, l’hiver et l’été et également entre les zones tropicales et tempérées. On suppose que le volume atmosphérique requis dépend en grande partie de la masse de la planète, et cette caractéristique, à elle seule, fait de Mars une planète probablement non appropriée au développement de la vie, vu que sa masse fait moins d’un huitième de celle de la Terre.
3°) Une surface planétaire majoritairement recouverte par de profonds océans de manière à ce qu’ils entourent et pénètrent les terres, marées et courants assurant une circulation continue, se faisant ainsi les agents principaux de l’équilibre des températures. Et encore une fois, cela suppose d’être accompagné d’un satellite assez grand et assez proche pour produire des marées régulières mais sans excès. La seule nécessité d’un tel satellite suffirait à faire de Vénus une planète entièrement inadaptée au développement de la vie, et elle le resterait même si d’autres conditions étaient remplies, ce qui semble fortement improbable.
4°) La profondeur moyenne de ces océans est à ce point considérable que leur masse est 13 fois supérieure à celle des terres émergées. Ceci indique que les océans sont des caractéristiques permanentes de la surface terrestre et qu’ils ont, par voie de conséquence, assuré le maintien d’étendues de terre ininterrompues et de températures uniformes durant toute la période où la vie s’est développée sur le globe. (La preuve qui démontre cette permanence est publiée dans mon ouvrage Island Life, chapitre VI, et étayée par des arguments supplémentaires dans mon Studies Scientific and Social, Vol.I, Chap. 2.) Il est extrêmement improbable que cette condition spécifique s’obtienne sur une autre planète.
5°) Pour finir, un des phénomènes les plus étranges de notre Terre et des moins couramment étudiés, mais pourtant essentiel au développement et au maintien de la vie organique, ce sont les réserves infinies de poussière atmosphérique, qu’on sait aujourd’hui nécessaires à la production de nuages de pluie et bénéfique, à la pluie et la brume. Sans celles-ci, tout le cours des phénomènes météorologiques changerait, au point de mettre en danger l’existence d’une grande partie de la vie sur Terre. Le comment et le pourquoi sont totalement expliqués dans mon Wonderful Century. La plus grande partie de cette fine poussière, diffusée à travers les couches supérieures de l’atmosphère, de l’équateur jusqu’aux pôles, avec une uniformité extraordinaire, provient de ces singularités fantastiques de la Terre souvent perçues comme les moins importantes ; voire comme des imperfections sur le visage pur de mère nature – les déserts et les volcans. La plupart des personnes pensent sans doute que l’on pourrait très bien se passer des uns comme des autres et que la Terre s’en porterait très bien, d’un point de vue humain, si on abolissait les deux. Pourtant c’est presque une certitude que les conséquences d’une telle abolition rendraient la Terre infiniment moins agréable et peut être même totalement inhabitable pour l’homme. Nous devons au contraire admettre qu’une proportion mesurée de déserts et de volcans en activité, avec des vents suffisamment constants pour en diffuser les poussières, remplit une condition essentielle au développement de la vie intelligente. Je pense que c’est la première fois que l’on déclare ainsi l’utilité des déserts et volcans.
Si nous admettons à présent que ces 5 conditions, prises une à une ou comme un ensemble, et dont plusieurs dépendent de l’équilibre délicat entre les forces à l’œuvre sur notre planète depuis ses origines, sont absolument essentielles pour l’existence de formes supérieures de vie organique, nous devrions tout de suite réaliser combien notre place et notre condition dans notre système solaire sont particulières et uniques. Nous pouvons être presque totalement certains que ces caractéristiques ne peuvent coexister toutes ensemble sur une autre planète. Et pour aller plus loin, même si nous considérions aujourd’hui que ces conditions coexistent sur une autre planète, cela ne changerait rien sauf si nous trouvions une raison de croire que celles-ci aient existé, comme sur notre Terre, pendant une vingtaine voire une centaine de millions d’années. Toutes les preuves à notre portée semblent nous assurer que notre Terre est la seule planète du système solaire apte depuis ses origines à accueillir le développement de la vie organisée et intelligente. La position de la Terre dans le système solaire est par conséquent aussi centrale et unique que celle de notre Soleil dans l’univers stellaire.
Même en admettant que par sa position, sa taille et sa combinaison d’attributs physiques, la Terre est la seule planète du système solaire a être propre au développement de la vie, on peut demander en quoi la position quasi centrale de notre Soleil dans l’univers peut affecter, comme il semble être le cas, cette adaptation ? Pourquoi est-ce que d’autres soleils situés aux limites, ou ailleurs dans notre voie Lactée seraient-ils dépourvus de planètes aussi adaptées que la nôtre au développement de formes de vie supérieure ?
Ces questions soulèvent des problèmes de la plus haute difficulté en physique mathématique que seuls nos penseurs les plus géniaux pourraient éclaircir. En attendant, je vais brièvement indiquer ce qui me semble être la nature de la question. Si on accepte les preuves données par les astronomes que, si loin que puisse s’étendre l’univers matériel où se tient notre Soleil, , nous pouvons réellement voir au-delà de ses frontières, au point d’être en mesure de donner, approximativement, une limite maximum à son étendue, nous nous heurtons à cette question : comment cet univers, composé de matière et d’éther qui se répandent partout, peut conserver ces forces au niveau de ses limites les plus éloignées et à leurs alentours. Mais en réalité, le tout se dissipe-t-il nécessairement dans l’espace extérieur ? Y a-t-il certains de ces soleils constituants qui, comme ces comètes aux orbites hyperboliques ou paraboliques, sortent continuellement de leurs périmètres pour aller se perdre pour toujours ? En comparant les étoiles de la voie Lactée aux molécules d’un gaz, ne devrait-il pas y avoir une certaine part de ces étoiles qui échappent sans arrêt aux forces d’attraction de leurs voisins à la suite de collisions ou autres, qui meurent et s’égarent dans l’espace extérieur jusqu’à se perdre à tout jamais dans l’univers ? Et par conséquent, toutes les étoiles en bordure extérieure de l’univers stellaire ne sont-elles pas instables, étant constamment susceptibles de traverser des régions où elles seraient dissoutes comme les comètes que nous voyons se dissoudre de nos propres yeux ? Si de tels résultats se vérifient, il s’ensuivra dans tous les cas que les confins de l’univers, ainsi que sa proximité, sont totalement inaptes à assurer cette continuité de conditions uniformes qui est la première qualité essentielle au développement de la vie.
Mais ce n’est qu’une petite partie du problème. La vrai difficulté est de savoir comment l’éther se comportera à proximité des limites extérieures de l’univers. La gravitation peut-elle maintenir son influence aux frontières d’un univers délimité avec la même intensité qu’en son centre ? Si, comme admis en général aujourd’hui, c’est effectivement une pression nécessairement égale dans toutes les directions qui engendre la gravité, alors il est presque certain que quelle que soit la distance à la portion centrale de l’univers, pour peu qu’elle soit considérable, la gravitation variera en intensité dans les différentes directions. Si cette variation peut être détectée par le biais des mouvements d’étoiles binaires éloignées, ou de toute autre manière, laissons le soin aux mathématiciens et astronomes de le déterminer.
A présent, sans s’attarder sur cette question des variations de la gravité qui est au-dessus de nos capacités, nous pouvons tout de même jeter un coup d’œil aux merveilleuses forces électromagnétiques autres que la lumière et la chaleur, dont on ne connaît l’existence pour certaines que depuis peu. On peut citer les rayons°X, les ondes hertziennes, les rayons anodiques, le rayonnement radioactif etc. Il y a peu de doute sur l’importance jouée par ces forces électriques dans le développement d’organismes vivants. En même temps, il est difficilement imaginable que les autres formes de radiations citées, dont certaines produisent des effets physiologiques curieux, n’aient eu aucune influence sur la formation des merveilleux rouages de la vie, dont la substance, dans sa complexité tant de la structure que des éléments constitutifs, est un véritable microcosme -- une incarnation de la matière et de ses forces. Mais si toutes ces forces rayonnantes, ou certaines d’entre elles, ont contribué au développement de la vie, soyons assurés qu’elles n’ont pu le faire que dans des conditions qui ont limité leur énergie à cette action douce et imperceptible qui les a rendues si longtemps invisibles, même aux yeux des chercheurs les plus acharnés du siècle passé. Il n’est pas impossible, et à mon avis pas improbable, que cette imperceptibilité, cette continuité n’existent que dans les régions centrales de l’univers, alors que sur son pourtour c’est l’irrégularité qui prévaut ; en effet, ces forces radiantes peuvent tantôt manquer, tantôt exister en trop grande abondance ou se manifester d’une manière si excessive ou irrégulière qu’elles sont à l’opposé des rayonnements délicats et joliment équilibrés qui sont essentiels au développement harmonieux de la vie.
Revenons maintenant un instant à l'examen de notre position dans l'univers stellaire, qui prend un aspect un peu différent en fonction des possibilités ou des probabilités exposées précédemment. Il est difficile de continuer à supposer que trois coïncidences physiques si remarquables puissent se réunir sur LA planète sur laquelle la vie organique s’est développée sans aucun lien causal avec ce développement. Les trois faits de départ -- que nous sommes au centre d’un groupe de soleils, que ce groupe n’est pas simplement positionné précisément sur le plan de la galaxie, mais exactement au centre – ne peuvent guère être considérés comme des hasards sans aucune relation avec le fait crucial que c’est la planète située à cet endroit qui a donné naissance à la vie.
Bien sûr, la relation que j’évoque ici peut être une véritable relation de cause à effet tout en découlant toutefois d’un événement hasardeux parmi les mille millions de coïncidences qui se sont produites durant un temps presque infini. Mais d’un autre côté, les penseurs ont peut-être raison qui, voyant l’univers comme une manifestation de l’Esprit, et estimant que le développement ordonné des âmes vivantes fournit une réponse adaptée à la question de savoir pourquoi un univers a été porté à l’existence, croient que nous sommes son résultat unique et suffisant, et que nulle part ailleurs qu’au centre de cet univers, là où nous vivons, ce résultat aurait pu être atteint.
********************************************************************************* © Éditions de l'évolution